Un entretien avec Philippe Décognion, le héros de la Seconde Commune de Paris
chaines-de-caractere.com : bonjour Philippe Décognion, nous vous remercions d’avoir choisi chaines-de-caractere.com pour cette interview exclusive. Le nouveau président de la République vous a accordé une grâce, tenant sa promesse de campagne électorale. Vous rentrez en France après 25 ans d’exil forcé. Vous vous exprimez pour la première fois sur les événements dramatiques de l’été 2017, communément appelés « la Seconde Commune de Paris ». Vous êtes un héros pour tous les résistants au lepénisme, dont beaucoup se réclament du décognisme. Tout d’abord, pouvez-vous nous raconter la genèse du mouvement. Aujourd’hui, en 2042, tous les historiens ne sont pas d’accord sur le sujet.
Philippe Décognion: le mouvement est né lors de l’Assemblée Générale des copropriétaires du 86 de la rue du Faubourg-Saint-Denis, le 1 juin 17. Les débats qui ont précédé mon intervention sont encore frais dans ma mémoire. Michel Louise, du bâtiment B, et Jess Vallu, du C, s’affrontaient sur le choix de la machine à compost urbain. Jules Ferron, le professeur du 2è étage, proposait l’adoption d’un couple de lapins, pour l’éducation des enfants. Clément Georgeceau, le président du conseil syndical, présentait l’extension du jardin biologique partagé sur le toit.
CdC : et c’est donc dans ces circonstances que vous avez prononcé le fameux discours du 1 juin, appelé aussi « discours de la copro » …
PhD : oui, c’était assez improvisé. Je devais intervenir sur l’organisation de la fête des voisins, dont j’étais responsable cette année-là, mais je n’avais rien préparé. Profitant des interventions précédentes, je cherchais un thème qui pourrait être fédérateur, et j’eus l’idée d’inviter, au repas des voisins, un groupe de migrants du square Satragne. La motion a été acceptée à l’unanimité moins une voix, celle de M. Lechieur qui votait systématiquement contre tout ce qui était proposé.
CdC : 25 ans plus tard, pouvez-vous expliquer comment vous est venue cette idée, et en imaginiez-vous ses conséquences ?
PhD : Marine Le Pen était fraîchement élue. Une des premières décisions de son gouvernement avait été la formation d’un nouveau corps de police, le fameux SEA, Service d’Enquête Administratives. Rappelez-vous le célèbre titre de Charlie-Hebdo, avant qu’il ne soit interdit : « Les étrangers à la SEA !». La rue du Faubourg-Saint-Denis était célèbre pour accueillir plus de 100 nationalités différentes, et on avait vu les premiers enquêteurs faire leur apparition ici, dans les squares et la mosquée du n°83, aussi chez les coiffeurs africains de la rue du Château-d’Eau et les restaurants pakistanais du passage Brady. Les agents avaient été recrutés parmi les policiers municipaux chargés du stationnement, ils connaissaient parfaitement le quartier. Leur mission était de répertorier les migrants et les travailleurs clandestins.
CdC : revenons à cette fameuse fête des voisins. Que s’est-il passé ce jour-là ? On sait qu’il y a eu un mort, mais les circonstances n’ont jamais été vraiment éclaircies. La plupart des témoins directs n’ont pas survécu à la Seconde Commune de Paris.
PhD : je vous rappelle que le jour de la fête, le 13 juin, il pleuvait à verse, et seule une dizaine de résidents courageux avait affronté le mauvais temps, ainsi que deux migrants que nous avions réussi à persuader. Tous s’abritaient tant bien que mal sous le porche, essayant de se chauffer autour du barbecue.
CdC : c’est donc à ce moment-là qu’il y a eu la descente du SEA.
PhD : c’est exact. Ils étaient accompagnés d’une équipe de TF1, pour l’émission Enquête d’Action. De toute évidence, la volonté était de médiatiser l’intervention, pour l’exemple. Ils étaient agressifs, nous avons eu peur.
CdC : et donc, les circonstances de la mort de l’agent du SEA ?
PhD : à moment donné, dans la confusion, nous avons retrouvé le lapin Panpan, le mâle, inanimé, sans doute victime d’une crise cardiaque causée par l’intervention houleuse. C’est là qu’une des propriétaires présentes, Birgit Bradot, a perdu le contrôle de ses nerfs. Comme vous le savez, elle a transpercé l’agent Pervenche Laprune avec sa pique biodégradable à légumes grillés. Touchée à la gorge, la malheureuse est morte pendant son transport à l’hôpital. Je vous rappelle que le CRR [NDLR : Comité Révolutionnaire Responsable] a toujours déploré ce regrettable incident. Il faut dire que Birgit Bradot, qui je vous le rappelle dirigeait l’association Ethique et Animaux, était sous pression depuis plusieurs semaines. Le matin même, le groupe d’action des Charcutiers Bleu Marine, dont on sait qu’il était financé par le Front National, avait fait livrer, chez elle, des abats de porc frais.
CdC : Birgit Bradot a donc été arrêtée, et des comités de défense ont vu le jour. Y avait-il une organisation structurée ?
PhD : non, c’était l’improvisation totale. Les graphistes indépendants et les intermittents du spectacle, qui peuplaient majoritairement la rue, redoublaient d’imagination. C’est ainsi que la « Banderole de la Résistance » fut réalisée, à partir de toutes les revendications exprimées par les habitants de la rue, sans aucune censure, à condition qu’elles le soient sur une feuille A4 en papier recyclé. Plus de dix-mille feuilles, slogans ou dessins, ont ainsi été reproduites. Ce n’est pas un hasard car la rue du Faubourg-Saint-Denis était le théâtre de manifestations quotidiennes : Parti communiste léniniste du Kurdistan, Prostituées transexuelles, sans-papiers, pro-Bagbo, anti-Bagbo, et tant d’autres. Pour l’anecdote, un chercheur en ethno-sociologie a relevé que plus de 40% des revendications de la banderole étaient contradictoires. Pendant toute la Seconde Commune, elle est restée accrochée à l’entrée de la rue, à dix mètres de hauteur, entre deux immeubles. De nombreux camarades se relayaient pour la protéger, c’était devenu notre drapeau. On le connaît aujourd’hui sous le nom de « Drapeau Foutraque ». Comme vous le savez, il est exposé au musée des Martyrs de la Seconde Commune de Paris, [NDLR : ex-Centre Pompidou, que le Front National avait rebaptisé Centre Jean-Marie Le Pen, après sa mort].
CdC : quand les premières barricades sont-elles apparues ?
PhD : pendant toute la période de juillet, le SEA a pratiqué un harcèlement administratif, en particulier par l’enlèvement systématique des voitures par la fourrière, alors qu’il était impossible de s’acquitter d’un ticket. Le témoignage d’un repenti du SEA a prouvé que le sabotage des horodateurs, comme celui des Vélib et Autolib, mis sur le dos des insurgés, avait été organisé par des nervis à la solde du gouvernement. Le CRR a donc décidé d’ériger des barricades, au Nord à l’entrée Magenta, à l’Est aux carrefours des rues adjacentes au boulevard de Strasbourg, à l’Ouest sur les entrées par le Faubourg Montmartre, et naturellement au Sud à la Porte Saint-Denis, dont l’arche est devenue l’entrée officielle de la République Indépendante Responsable et Equitable (RIRE), instaurée symboliquement le 14 juillet 2017. La brigade Arc-en-Ciel, appelée ainsi pour la couleur de leur uniforme et sa provenance quasi unique des comités LGBT [NDLR : LGBT = Lesbiennes, Gays, Bi et Transgenres], avait pour mission de ne laisser passer que les citoyens du RIRE.
CdC : on sait que la République du RIRE n’a tenu que 27 jours, jusqu’à la nuit sanglante du 10 au 11 août, appelée la Nuit des Conserves. Il s’agit là d’un tournant de la Seconde Commune de Paris, et nous n’avons jamais eu votre vision, Philippe Décognion. Je rappelle que vous étiez alors à la tête du CRR.
PhD : depuis l’érection des barricades, à laquelle le gouvernement du Front National a répondu par un blocus du quartier, l’approvisionnement était quasi impossible. Les jardins biologiques partagés ne suffisaient plus à nourrir la population. La réquisition des magasins Naturalia, Bio C’Bon, La Vie Claire a permis un sursis d’une dizaine de jours avant que les premières tensions apparaissent au sein du CRR. La pression était portée sur Michel Louise, à la tête des comités alimentation, afin d’autoriser la distribution des conserves dont les magasins Monoprix, Carrefour City, Leader Price et G20 regorgeaient. Je vous rappelle que Michel Louise était un fidèle de Birgit Bragot, toujours emprisonnée. Ils avaient fait leurs armes ensemble à l’AMAP du Xè [NDLR : AMAP = Association pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne]. La fronde Conservophile était menée par Michel Lucheco, ex-président des Restos du Cœur. Malgré le compromis du 5 août sur les surgelés, la situation s’envenima. Dans la nuit du 10 au 11 août, les Conservophiles, alliés au petit parti des Micro-ondistes, prirent le contrôle des supermarchés, et reversèrent le CRR. J’entrai moi-même dans la clandestinité.
CdC : Nous entrons là dans les heures sombres de la Seconde Commune. Une période de terreur a commencé, qui provoqua en trois mois la mort de plus de 28000 personnes, soit environ 35% des citoyens de la République du RIRE.
PhD : oui, l’esprit du 13 juin, celui de la « Banderole de la Résistance », du « Drapeau Foutraque » a été totalement dévoyé, cette période-là ne me concerne plus. Naturellement je la renie. Mais revenons aux faits. L’action des Micro-ondo-conservophiles avait réveillé et libéré toutes les rivalités qui jusqu’à présent s’étaient tues par solidarité à la cause de la Résistance. Dans cette période de troubles, ce sont les extrémistes qui se sont déchaînés.
CdC : C’est le début des affrontements, on peut dire des massacres, entre Végétaliens et Carnassiens …
PhD : c’est exact. On ne sait comment, mais une vingtaine de moutons avaient pu être livrés aux bouchers de la rue. Les Conservophiles organisèrent un méchoui géant pour fêter leur accession au pouvoir, ce qui provoqua la colère des extrémistes de la cause animale. Leur violence surprit tous les observateurs, mais les historiens ont récemment analysé ce phénomène. Depuis les années 2000, des images mettant en scène la souffrance animale avaient circulé sur Internet. Des chercheurs ont montré que cette cause était à cette période la plus partagée sur les réseaux, alors que les medias se focalisaient sur le terrorisme islamiste.
Dans les semaines qui suivirent le méchoui du 15 août, on assista à des scènes d’une violence inouïe : des têtes furent tranchées au couteau de boucher par les activistes végétaliens, les organisateurs du méchoui furent embrochés sur les rôtissoires géantes, des centaines de participants furent parqués nus, dans les conditions des élevages qui existaient à l’époque. On les obligea à manger leurs propres excréments, dans lesquels ils pataugeaient toute la journée.
Les exactions des Carnassiens furent tout aussi sanglantes. La plus barbare fut d’obliger les Végétaliens à manger la chair crue de leurs propres enfants, abattus devant leurs yeux.
CdC : à la suite de ces événements, vous avez décidé de vous rendre à l’armée du Front National.
PhD : nous nous cachions dans les égouts avec mon cercle des premiers résistants, les survivants du « Discours de la Copro ». Avec les quelques moyens qui nous restaient, nous sommes rentrés en contact avec les chefs de la SEA, dont je vous rappelle qu’elle n’était pas une section combattante, et avons négocié une reddition. La brigade Arc-en-Ciel, qui nous était restée fidèle, nous a aidé à démonter en quelques heures la barricade de la Porte Saint Denis, derrière laquelle s’étaient préparées les forces du Front National. La condition de ma reddition était : pas de violence de l’armée contre les Seconds Communards. En contrepartie, j’acceptai mon exil. Marine Le Pen, avec la volonté de m’humilier, est venue elle-même signer l’acte, dit « Protocole de Chez Ali», du nom du restaurant Kebab dans lequel il a été signé, à l’entrée de la rue. La photo est restée célèbre, malgré l’interdiction de sa diffusion par le pouvoir frontiste, qui estimait que Marine Le Pen s’était fait piégée sur le choix du lieu.
CdC : ainsi s’acheva la Seconde Commune de Paris, le 18 octobre 2017. Aujourd’hui et pour conclure, que reste-t-il du décognisme et que signifie-t-il à vos yeux.
PhD : il n’en reste plus rien. Le décognisme est dilué dans différentes causes et partis qui se réclament de son héritage, mais dans lesquels je ne me reconnais pas. Le décognisme a duré 27 jours, c’est un accident de l’histoire, un paradoxe falabraque comme il me plaît de l’appeler.
CdC : Philippe Décognion, je vous remercie.