Louise Michel : on the road
Dès sa jeunesse, lorsqu’elle se rendait à Paris depuis sa Haute-Marne natale, jusqu’à la fin de sa vie où elle sillonnait la France pour des conférences anarchistes, Louise a vécu au moins une révolution, celle des moyens de transport au XIXe.
En 1851, elle se rend à Lagny-sur-Marne chez sa tante Catherine, puis s’installe pour quelques mois à la pension Fleury-Duval. Le voyage se faisait alors soit en diligence et durait 48 heures, soit, si on avait les moyens, en malle poste, une voiture à cheval rapide, seule autorisée à pratiquer le galop. Le trajet prenait alors 24 heures.
Pour son emménagement définitif à Paris, peut-être a-t-elle inauguré la ligne de chemin de fer depuis Chaumont, ouverte en 1857, qui réduisait le temps du trajet à 7 heures. Passionnée par les progrès techniques autant que par la condition des ouvriers qui s’affairaient sur les chantiers, on peut imaginer l’intérêt qu’elle porta aux ouvrages techniques gigantesques et gares flambant neuves qui jalonnaient alors la ligne Paris-Mulhouse des Chemins de Fer de l’Est.
Plus tard, à partir des années 1880, après son retour de déportation en Nouvelle Calédonie, au vu de la fréquence des réunions qu’elle enchaîna à travers la France, l’indicateur horaire des chemins de fer devait être son principal livre de chevet. Sans compter qu’à partir de 1890, elle s’y rendait depuis Londres où elle résidait le plus souvent.
Dans l’indicateur PLM (1), on note que, depuis Paris, le direct de 8:30 atteignait Lyon-Perrache à 17:10, puis Marseille à 23:30. Quinze heures au lieu de trois heures trente actuellement, huit heures avant le TGV.
Si elle avait eu plus d’ego et du temps à perdre, Louise aurait pu titrer un chapitre de ses mémoires : ma vie dans le train.
Quant au voyage sur les océans, si fantasmé dans son enfance, elle n’en connut qu’un seul au long cours, celui de sa déportation en Nouvelle Calédonie. Avant ça – elle était alors âgée de 40 ans – elle n’avait même jamais vu la mer. Quand elle la découvre, malgré les circonstances tragiques, elle reste « magnétisée par l’immensité ». (2)
Au retour du bagne et jusqu’à la fin de sa vie, de bateaux elle ne prit que ceux pour l’Angleterre, et un peu avant sa mort celui pour Alger.
Au milieu des années 1890, elle annonça un voyage aux États-Unis et jusqu’en Amérique du Sud. Elle ne le fera jamais, faute d’argent.
Morte en 1905 avant les premiers vols « contrôlés », Louise n’a pas pu monter dans un aéroplane, ni même en distinguer un dans le ciel. Il est certain qu’elle n’assista pas non plus, en 1897, à la démonstration de Clément Ader, qui arracha de quelques mètres son engin au-dessus du sol. En effet, l’événement se déroulait à Versailles au camp de Satory, de sinistre mémoire (3).
Mais, avide de science qu’elle associe toujours au progrès social, sans doute s’est-elle intéressée au Flyer des frères américains Wright (4), et son émotion aurait été celle de Marcel Proust lorsque, entendant pour la première fois le bruit d’un moteur dans le ciel, « [il] n’attendai[t] que d’avoir aperçu l’avion pour fondre en larmes » (5).
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Extrait de : « Louise Michel, jeunesse », roman biographique à paraître :
« ... Pour l’instant, [Louise] ne perd rien de ses premières sensations parisiennes. Dans la cour, où trois diligences sont arrivées en même temps, c’est la cohue. Les postillons décrochent les bagages de toutes sortes, valises, sacs de jute, volailles vivantes. Les porteurs chargent les paquets sur leurs épaules, s’aidant mutuellement. Un gradé, sabre au flanc, menton levé, pavoise devant ses parents. Un autre soldat, en tenue de chasseur, enlace sa fiancée. Un commerçant retrouve femme et enfants, tous vêtus de blanc. Deux chiens s’enroulent et se roulent dans la boue. Des poules caquettent sous la surveillance d’un coq, à la même allure que le gradé. Un garçon d’écurie dételle les chevaux épuisés, puis les tire à l’écurie. Des enfants courent derrière un chat. D’une fenêtre, une vieillarde ne perd rien du spectacle. Au portail de la cour, des calèches sont alignées. Les caléchiers discutent au pied de leur voiture. Les autres sont restés perchés sur leur banc. Un passant, du trottoir, crache sa chique au milieu de la chaussée... »
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Notes :
(1) Lien de l’indicateur sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5487187m
(2) Extrait des mémoires de Louise : « Je n’avais jamais voyagé que de Chaumont à Paris ; la mer fut pour moi le plus beau des spectacles, quoique les gravures, les récits et surtout mon imagination m’eussent blasée dès l’enfance sur l’Océan. On le voit bien en songe tel qu’il est, cet Océan, mais quand la réalité arrive, cette fois-là, on reste charmé, magnétisé par l’immensité.
Comme il y avait longtemps que j’aimais la mer ! Je l’avais toujours aimée. Pour premiers jouets, mon grand-père me faisait des bateaux, de beaux navires dont on pouvait carguer les voiles avec des câbles de gros fil. J’ai des fragments d’un premier récit de ma vie, où je le racontais :
Pour mes premiers jouets il me fit des bateaux,
De beaux bateaux pontés ayant haubans et hunes
Et dans la pierre ronde on les mettait à flots,
A travers les crapauds monstres aux teintes brunes
Qui sur les ponts parfois faisaient d’énormes bonds.
C’était près du vieil orme et des ruches d’abeilles.
Des roses de Provins aux pétales vermeilles
Étendaient leurs rameaux sur les résédas blonds.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Oh ! combien tout enfant j’ai vu de blanches voiles
S’en aller sur les flots dans mes rêves le soir.
J’en voyais un toujours, qui seul sous les étoiles
Semblait un grand oiseau blanc à l’horizon noir.
Comme je la peignais avec sa vive allure
Et la fière forêt de sa haute mature,
Mon grand-père me dit : Nous ferons ton bateau
Avec du coeur de chêne et ce sera très beau.
Car c’est une frégate………>>
(3) Le camp de Satory fut le lieu de détention de milliers de communards. Nombreux y furent exécutés.
(4) Source Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27aviation
(5) Extrait de Sodome et Gomorrhe, Marcel Proust :
« Tout à coup mon cheval se cabra ; il avait entendu un bruit singulier, j’eus peine à le maîtriser et à ne pas être jeté à terre, puis je levai vers le point d’où semblait venir ce bruit mes yeux pleins de larmes, et je vis à une cinquantaine de mètres au-dessus de moi, dans le soleil, entre deux grandes ailes d’acier étincelant qui l’emportaient, un être dont la figure peu distincte me parut ressembler à celle d’un homme. Je fus aussi ému que pouvait l’être un Grec qui voyait pour la première fois un demi-Dieu. Je pleurais aussi, car j’étais prêt à pleurer, du moment que j’avais reconnu que le bruit venait d’au-dessus de ma tête — les aéroplanes étaient encore rares à cette époque — à la pensée que ce que j’allais voir pour la première fois c’était un aéroplane. Alors, comme quand on sent venir dans un journal une parole émouvante, je n’attendais que d’avoir aperçu l’avion pour fondre en larmes. »
C’est en fait le narrateur de La Recherche que Proust fait parler... mais les sensations sont bien les siennes.
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