Louise Michel à Lagny-sur-Marne

Publié le par Philippe Mangion

Dans ses mémoires, Louise se souvient : « C’est à ces vacances de 1851 que nous allâmes, ma mère et moi, passer quelques mois chez mes parents des environs de Lagny. Là, mon oncle, qui n’aimait guère à me voir écrire et s’imaginait toujours que je laisserais les examens d’institutrice pour la poésie, me plaça, pour être plus tranquille à ce sujet, au pensionnat de Mᵐᵉ Duval, de Lagny, où sa fille avait été élevée ; j’y fus pensionnaire pendant environ trois mois. »
C’est en réalité à partir de septembre 1851 que Louise se retrouve à Lagny-sur-Marne, près de Paris, après son premier échec au « brevet de capacité pour l’instruction primaire », en Haute-Marne, à Chaumont (1). Pour mémoire, Louise vient de vivre cinq années tragiques où, un à un, elle a perdu tous les membres de sa famille paternelle : son grand-père, sa tante, son père et sa grand-mère. Sa mère et elle sont congédiées, par la femme de son père, du château où elle a grandi. On retire jusqu’à son nom de Demahis à la bâtarde. 
On peut imaginer que Marianne, sa mère, après l’échec de Louise et devant son état dépressif, décide de la faire changer d’air. Elle compte peut-être sur une autorité masculine, celle de son beau-frère Eloi Guillemin, mari de sa sœur Catherine, propriétaire à Conches dans les environs de Lagny, pour la remettre sur les rails.
La pension « Duval » dans laquelle il l’inscrit se situe 13, rue Vacheresse à Lagny-sur-Marne (2), plus connue sous le nom de pensionnat Fleury. La fille du directeur Fleury a épousé le peintre Latoison-Duval, ce qui explique sans doute le nom de Duval donné par Louise dans ses mémoires.
Charles Latoison-Duval, qui enseigne le dessin au sein de l’institution, deviendra une figure local de Lagny, jusqu’à sa mort en 1888. Dès 1849, il est référencé dans des expositions nationales et le musée Gatien-Bonnet de Lagny possède plusieurs de ses œuvres (3). Il est également l’auteur d’une mystérieuse « Lettres à un ami à propos de communisme » datant de 1849, soit seulement un an après le manifeste de Marx et Engels (4). Le texte faisait donc l’objet de débats jusqu’à Lagny et il me plaît d’imaginer que Louise, âgée alors de 21 ans et déjà aguerrie aux échanges politiques, se soit familiarisée aux idéaux du communisme au contact de ce professeur de dessin.
C’est aussi durant ce séjour à Lagny que Louise rencontre Victor Hugo pour la première fois, à Paris. On représente parfois l’entrevue comme celle du maître culbutant la jeune admiratrice sur la banquette d'un fiacre. Je ne crois pas du tout à cette version. En revanche, les sujets de discussion étaient nombreux entre eux : le malheur qui a frappé la famille de Louise et les mots du poète qui l’ont soutenue, les projets d’édition de Louise qui n’a pas cessé de lui proposer des textes, sans oublier la situation politique du pays. 
On est à quelques semaines du coup d’état de Louis-Napoléon, le 2 décembre 51. Tout le monde le pressent et, dans ce fameux fiacre, la discussion a dû être animée à ce sujet. La correspondance des années 1850 et 1851 laisse deviner un conflit politique entre Louise et Hugo (5). Hugo a soutenu Louis-Napoléon à l’élection présidentielle de 1848 et s’en est éloigné après que l’expédition de Rome, menée par la France, y rétablit le pape. Louise, plus clairvoyante quant aux ambitions de Bonaparte, n’aura pas manqué de le lui rappeler. 
Après le coup d’état, Hugo fuit pour la Belgique. On compte 400 morts dans les rue de Paris et la dictature se met en place. À mon sens, c’est aussi à ce moment que Marianne, la mère de Louise, décide de rentrer en Haute-Marne. Louise n’a pas d’autre choix que de la suivre.
Pour illustrer cet article, nous avons la chance d’avoir des daguerréotypes d’époque par Humbert de Molard, qui vécut à la fin des années 1840 dans la région, ainsi que les peintures du groupe néo-impressionniste de Lagny. J’ai ajouté quelques photos prises aujourd’hui même...
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Notes :


(1) Chronologie établie par Georges Viard dans « Hier l’école », 2e facicule – S.H.A.L. 1993
(2) La pension Fleury est citée dans « Essais historiques et statistiques sur le département de Seine et Marne, Volume 3, de Louis Michelin, 1841 ». Fac-similé joint. https://books.google.fr/books?id=EUo-AAAAYAAJ&pg=PA793...
(3) Autour des néo-impressionnistes : Le groupe de Lagny, par Noël-Marie Coret. Musée Gatien-Bonnet, 1999.
http://bibliotheque.inha.fr/iguana/www.main.cls...
(4) Cette lettre est référencée dans un vente aux enchère de 2014, ici : https://alde.fr/.../latoison-duval-charles-lettres-a-un...
Malheureusement, je n’en connais pas le contenu.
(5) Louise Michel : « Je vous écris de ma nuit », correspondance général établie et présentée par Xavière Gauthier, Les éditions de Paris Max Chaleil – 2005.
Lettre de Louise Michel à Victor Hugo (1851) [extrait] :
« Lorsque je vous envoyais des injures, l'été dernier je n'avais voulu lire vos discours que dans des critiques et par fragments afin de vous écrire en colère. Vous ne pouvez pas vous imaginer avec quelle méchanceté on se plaisait à vous noircir de calomnies, qui font une impression horrible. C'est comme si une chauve-souris vous battait des ailes sur le cœur, j'ai voulu oublier tout cela car l'outrage sacre les autels. Cependant, promettez-moi que si jamais je vous faisais un reproche, vous songeriez combien il faut d'amitié pour oser parler comme la haine. Savez-vous que le souvenir de ce temps où vous m'avez crue méchante et sans cœur (ne me dites pas le contraire) me fait mieux sentir combien je suis heureuse au milieu de mes douleurs de mêler mon âme à la vôtre. »

 

Publié dans Louise Michel

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